Qu’on le dénigre ou qu’on l’adore, le chat ne laisse personne insensible et il fut une source d’inspiration pour de nombreux artistes européens.
Durant la période romane, le chat n’avait pas sa place dans l’église et si on le représentait, c’était uniquement à l’extérieur. Mais avec l’art gothique, le chat fit son entrée dans les édifices religieux et on le vit, par exemple, à l’intérieur de la cathédrale Saint-Pierre à Poitiers, toujours dans la position du chasseur de rongeur. Mais malgré de nombreux bestiaires de pierre que l’on pouvait voir partout dans les églises de toutes les époques, le chat ne semblait pas être digne de représentation et l’on préféra largement les images de lions ou de léopards, ces derniers ayant au moins l’attrait des fauves exotiques. De plus, le chat, dans l’iconographie médiévale, va symboliser la femme lascive, la pécheresse, qu’il faut tenir éloignée des lieux saints. Mais malgré cette censure, le chat était pourtant un animal présent dans tous les foyers, et les peintres ne se privèrent pas de croquer le matou, laissant à la postérité un grand nombre d’œuvres, des croquis comme des peintures.
Vittore Pisanello, peintre du Quattrocento, se mit à dos l’Église en osant étudier la morphologie des chats dans diverses planches anatomiques.
Dans « Le ¨Jardin des délices », sur le premier volet intitulé « Le Paradis et la présentation d’Ève » de Jérôme Bosch, entre 1494 et 1505, le chat officie au Paradis, chassant les rats et, devant la profusion de personnages, d’animaux et d’êtres hybrides, personnes n’aura l’idée de soulever l’affront. Et Léonard de Vinci se déclara un grand passionné de chats, admirant leur souplesse et leur esthétisme. Pour preuve sa célèbre phrase, « Même le plus petit des félins, le chat, est un chef-d’œuvre », qui reste un vibrant hommage à la race en ces temps où il était plutôt de bon ton de les exterminer. Une planche recouverte d’une vingtaine de dessins nous est parvenue sous le titre d’« Étude du mouvement des chats », 1513-1516, ainsi qu’« Étude de la Madone et de l’Enfant avec un chat » et « Étude pour la Madone au chat » sont tous trois des témoignages de sa parfaite maîtrise du sujet. Bien que honni, le chat pouvait être accepté dans les scènes de l’Annonciation, car il devenait alors le symbole du Malin. C’est dans cet esprit qu’il fut représenté dans l’œuvre de Lorenzo Lotto en 1527. On y voit un chat tigré chassé par l’apparition de l’ange. La symbolique est là parfaitement compréhensible ; l’animal satanique ne peut que s’enfuir devant l’annonce de l’avènement du Bien et du Juste. Et si la Vierge s’écarte, ce n’est pas vraiment par peur, mais plutôt par trouble.
Dès la fin du XVIe siècle, et, ensuite au XVIIe et au XVIIIe siècle, dans toute l’Europe, les représentations du chat se font plus courantes, mais, surtout, on l’y verra plus volontiers dans des scènes d’intérieur, comme dans « Combat de chats dans une cuisine » de Paul Devos, 1678; « Chat couché sur le rebord de fenêtre d’un atelier » de Gerrit Dou, 1667. Watteau fit de nombreuses études au crayon et à la sanguine, et le chat fut pour lui un superbe modèle dans « Deux hommes et quatre études de chat » ou « Le chat malade ». Jean-Baptiste Oudry (1686-1755) fut un peintre reconnu pour ces œuvres animalières, et il croqua volontiers le chat pour illustrer les « Fables de La Fontaine dans “La querelle des chiens et des chats”. Le chat garde quand même cette réputation de grand gourmand pas très honnête.
Dans la peinture européenne du XIXe, le chat est enfin reconnu comme un modèle digne d’intérêt, débarrassé de la mauvaise réputation d’antan, il devient donc un symbole des foyers heureux et un idéal de beauté. Un grand nombre d’œuvres vont le mettre en scène et les plus grands noms de la peinture vont lui faire une véritable ovation.
Louis-Eugène Lambert, surnommé le Lambert des chats, va être prolifique dans son art de représenter le chat sous toutes ses facettes : “Chatons jouant avec des plumes”, “Chatte et ses chatons”, “Les chatons dans le panier” ou encore “Deux chatons jouant avec une bobine". "Le déjeuner du chat" de Marguerite Gérard nous rassure définitivement sur la place qu’il va désormais occuper. Il va donc côtoyer les plus grands noms de la peinture. Théodore Géricault et "Le chat blanc", 1817, mais aussi "Le chat mort", pour illustrer le passage du temps qui nous conduit irrémédiablement à cette fin. Édouard Manet le placera dans sa célèbre toile "Olympia", 1863, et ce ne sera pas sa seule création avec des chats, Auguste Renoir va s’en servir pour souligner la sensibilité et la douceur dans le portrait de "Julie Manet" de 1887, "Le Portrait de Pierre Loti", 1891, du Douanier Rousseau, Pierre Bonnard et son "Chat blanc", 1894, qui, durant toute sa carrière, ne cessera de louer l’esthétisme de l’animal. Toulouse-Lautrec, avec celui de "May Belfort", 1895, cette artiste irlandaise qui se produisait sur scène avec son chat. Paul Gauguin, dans le tableau intitulé "Eiaha Ohipa", 1896, veut nous montrer la nonchalance du chat sous les cieux tahitiens. Les artistes de l’époque avaient justement pris l’habitude de se réunir dans un cabaret au nom évocateur, "Le Chat Noir".
Le XXe siècle sera encore prolifique en représentations félines et le chat sera de tous les courants, tour à tour fauve et expressionniste, il va suivre le mouvement et devenir cubiste. Lorsque l’art moderne s’en saisira, et, lui, l’éternel inclassable, se verra réduit à sa plus simple expression et comme le chat d’Alice au Pays des Merveilles, on n’en devinera plus que son sourire énigmatique, nous échappant encore une fois.
Suzanne Valadon peint en 1920, "Raminou", et Henriette Ronner va devenir l’artiste exclusive de la race féline, sa spécialité étant le rendu du pelage. Franz Marc sera un autre amoureux des chats qui les représentera dans une exubérance colorée, comme sur la toile "Chat sur le coussin jaune". Marc Chagall, avec "Paris par la fenêtre", 1913, va représenter un chat à tête humaine sur les toits de Paris. Fernand Léger, avec "Femme avec un chat", 1921, Paul Klee, lui, pensait que le chat était un dieu perdu sur terre, il ne cessera de les aimer et de les représenter, comme dans "Idole pour les chats de la maison", 1924, et "Le chat et l’oiseau",1928, par exemple. Pablo Picasso, pour qui le chat était intéressant pour son côté sauvage, le représentera donc dans toute sa splendeur dans "Chat dévorant un oiseau", 1939. "The Bachelor Party", 1939, de Louis Wain, fera partie d’une grande collection d’illustrations dédiées au chat, ce qui fera dire à H.G Wells, "le chat, c’est lui". Joan Miro va produire tout au long de sa carrière de nombreuse lithographie ayant pour sujet principal le chat, certaines ne seront pas nommées et d’autres, très simplement "Le chat". "Un chat nommé Sam" d’Andy Warhol, qui inaugura sa sérigraphie avec des centaines de chats, tous répondant au nom de Sam. L’artiste complète Léonor Fini les idolâtrait à un tel point qu’elle les désignait comme des êtres parfaits "qui l’aident à vivre", cet amour inconditionnel est parfaitement représenté dans "Le couronnement de la bienheureuse féline", 1974.
"Mitsou le chat" sera la passion de Balthus qui le mettra dans ses premières œuvres à l’âge de 11 ans. Il aura, durant toute sa vie, de nombreux chats qu’il se plaira à mettre dans ses œuvres, se voyant comme "Le roi des chats", du nom de son tableau de 1935. Il passera sa vie entre la France, l’Italie et la Suisse, où il vécut jusqu’à sa mort en 2001.
À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, Gottfried Mind fut reconnu comme le "Raphaël des chats", car le peintre animalier de la ville de Berne fut le premier artiste à représenter le chat dans toute sa simplicité, sans artifice, mais aussi dans toute sa complexité anatomique. Ainsi, dans les toiles comme "Deux chats blancs sur une table avec des livres", "Mère dormant avec trois chatons", ou "Gros chat assis", ses chats sont dans leurs dispositions naturelles, jouant en groupe, chassant ou posant seul dans des attitudes toutes félines. Les mouvements sont fluides et précis, et il ressort de ces toiles une douceur et une immense affection de l’artiste pour ces animaux qu’il s’amusa aussi à sculpter dans l’écorce de marrons.
Un siècle plus tard, Théophile Alexandre Steinlen sera surnommé "le chantre des chats de Montmartre". En effet, cet artiste originaire de Lausanne va se passionner pour les chats des rues, les pauvres matous faméliques qu’il croise quotidiennement. Il ne tolère pas l’injustice et fait preuve d’une grande compassion envers les plus pauvres, les humains comme les animaux. C’est eux qu’il va choisir de montrer au public, et, entouré de nombreux félins, l’artiste va les honorer. Et des chats, il en fera de nombreux dessins, lithographies et même des sculptures dans lesquels nous les voyons aussi bien en quête de proie qu’en pleine songerie ou, encore, ne dormant que d’un œil dans leurs si typiques postures. On lui doit la célèbre affiche de la "Tournée du Chat noir", et c’est dans ce cabaret qu’il va rencontrer de nombreux artistes de l’époque. "L’Hiver, Chat sur un coussin", 1909, mais aussi de nombreuses affiches publicitaires pour des produits ménagers ou alimentaires les représente en bons garants du confort du foyer. Plus récemment, Thoma Vuille, né dans le canton de Neuchâtel, est un peintre d’art urbain. Son personnage M.CHAT est une création originale qui s’affiche sur tous les supports de la ville d’Orléans. L’objectif étant de mettre du soleil partout sur les murs gris de la ville, c’est un pari tenu avec l’orange flashy de M.CHAT. Et voilà notre animal devenu le symbole de la joie et du bien-vivre ensemble.
Décidément, les hommes auront toujours besoin d’un chat pour s’exprimer.